Le soleil fustige les nuages, irradie de ses jeunes forces. Il nous donne l'envie légitime de chausser nos bottes de sept lieues, de nous précipiter dans des paysages édéniques, de franchir des frontières où nulle personne n'est éconduite par décret inhumain. On a une pensée révoltée pour ces peuples refoulés vers un soleil étranger qu'ils ne savent plus regarder, les larmes dans leurs yeux opacifiant l'horizon. On commente le récit d'Yvon Paré, L'orpheline de visage.
Après avoir refermé ce livre, on s'est questionnée sur plusieurs points. Comme on le fait chaque fois que notre lecture nous emporte vers des faits qu'on a vécus ou vers des souvenirs que nos différents âges ont enregistrés dans notre mémoire. Ici, ce sont des moments d'écriture qui nous ont assiégée. Écrire suggérant le désir d'aller fouailler en soi-même, révélant un reflet de l'âme qui nous submerge, comme d'autres déversent librement leurs sentiments à fleur de peau. Ce n'est pas un roman mais un récit-témoignage qu'un écrivain de grande notoriété a entrepris de façonner à sa manière après le décès d'une romancière qui était son amie. Le poids de la perdition est donc plus lourd aux épaules, vide uniforme se prêtant à la nécessité de s'exprimer. L'écrivain, Yvon Paré, rejoint par ce procédé intellectuel et humaniste, l'écrivaine Nicole Houde, tous deux Saguenéens, amoureux du lac " sans commencement ni fin ". Tous deux dont l'œuvre se recoupe, comme en font foi les extraits choisis pour bâtir une histoire dont les bases solides stigmatisent les pages. Telles les racines d'un arbre flânent sous la terre. N'en finissent plus de creuser leurs sillages.
Rien d'intime dans ces échanges, que la nature glorifie, l'écrivain les livrant au public sous la forme de dialogues imaginaires. Ça commence par le regret endeuillé du départ ultime de l'amie écrivaine, en plein hiver, il y a deux ans. La famille est présente, les amis se taisent, le romancier essayiste rend compte du chagrin silencieux de chacun et chacune puis, quand ce chagrin a fait son œuvre, il laisse le flot de larmes déverser ses mots, admettant que les pleurs ont de mystérieux vocables, qui promeuvent ce que plus tard la mémoire retiendra du temps heureux, du temps de la présence. Il ne reste plus que les livres desquels il faut soutirer le bon grain. S'en inspirer, se remémorer le navrement, les rires, les doutes. L'accablement quand nous devons déballer les outrages de l'enfance, plus tard, les tricheries de l'adolescence, au point de simuler une existence de substitution dans des lieux familiers, ceux-ci protégeant la part d'innocence à toute intrusion nuisible, tel un mensonge recèle une vérité morcelée appartenant à la fable. Ainsi, Yvon Paré a utilisé avec bonheur quelques ouvrages de Nicole Houde pour disséquer ce qui la taraudait, lui permettant de relater ses angoisses, ses deuils, ses naissances fictives. Qu'elle nomme le père, la mère. Plus tard, ses filles et son fils. Fascination du dialogue avec une vivante, aujourd'hui morte, quand l'écrivain se rend compte que leurs livres possèdent des plis et reflets identiques. Ce qui donne à ces entretiens un ton durassien, parfois subjectif, émaillés d'une tendre complicité, d'un humour particulier. D'un attachement semblable à une région du Québec autrefois repliée sur ses drames, sur ses refus, sur son orgueil colérique qu'il faut taire. Les hommes, enfermés dans leur alcoolisme héréditaire, les femmes délaissées dans les affres d'interminables maternités. Si les illusions ont déserté la tête de ces jeunes hommes, de ces jeunes femmes, qui vieillissent avant le temps permis, elles sont magistralement restituées par Nicole Houde, thème irréfragable qu'elle a exploité pour se libérer de son propre drame. Si l'affliction de l'écriture existe, on ne ressent pas ce handicap à travers les mots exhaustifs de la romancière, mais une pléiade de questionnements qui la mène à l'essence réparatrice de la poésie. L'acte d'écrire s'avérant aventurier, le vent de la tempête intérieure exalte les plus farouches oppositions. D'où un récit-témoignage percutant, les couteaux de la violence diluant leur férocité après que le discours a pris refuge dans une relation fraternelle et sororale entre les deux écrivains.
Si on se laisse moindrement aller à scruter une conversation surprenante et combien bénéfique au lecteur, peu habitué à sonder l'univers intérieur romanesque, on lui confirme la teneur simple, agrémentée d'un débat rétrospectif, d'un récit qui coule de source harmonieuse, parsemé d'entente sereine, de mots limpides, amalgamés d'extraits des romans de Nicole Houde et d'Yvon Paré. La conciliation est parfaite comme si cette union de deux âmes, l'une terrestre, l'autre céleste, nous démontrait une fois encore la difficulté de dire, mais entrave dénouée quand la parole s'inscrit sur la page vierge de confidences, aussi douloureuse à exprimer qu'elle soit. On dirait que l'orpheline a recomposé un visage, celui que dessine l'écriture quand elle devient métaphore d'une existence malmenée par des proches, réverbérée sur soi-même. On est toujours fascinée par la faculté inépuisable de trouver une source vitale là où une aridité apparente ne laissait rien espérer. La parole généreuse orchestrée par Yvon Paré a accompli ce miracle, sa main tenant celle d'une écrivaine qui bénéficia du don d'une poétique rébellion. La conclusion est féconde, interrogative, nous ramenant sans cesse au questionnement du début de cette chronique. Qu'a-t-on énoncé qui puisse transcender la magnificence de ce texte à deux voix ? Pas grand-chose. On a théorisé sur une lecture « improbable », en faisant le tour d'une chambre tapissée de paysages grandioses, séquencée de saisons intenses. Habitée de deux voix bienveillantes. On remercie Yvon Paré d'une telle ferveur désintéressée. Cette lecture n'est peut-être qu'un instant de « folie sans lendemain ». On en serait redevable à l'écrivain, l'impression fugitive d'une troublante souvenance nous ayant émue de quelques-unes de ses réminiscences...
L'orpheline de visage, Yvon Paré
Éditions de la Pleine lune, Lachine, 2018, 136 pages
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