lundi 11 avril 2022

Les cent ou deux cents coups de la vie ordinaire ***


Quand on réfléchit au thème de notre introduction, et qu'on le note, c'est déjà afficher une certitude. Ce n'est pas toujours simple de parvenir jusqu'au livre duquel on veut parler. C'est une démarche qui exige beaucoup de mots, de lignes et de pages. Se fiant à la fugacité du monde virtuel, on écrit ce qu'on juge important, mais qui ne l'est pas. On commente les nouvelles de Yves Angrignon, Pour mourir, c'est différent.

Vingt-deux courts textes qui sont présentés comme étant des nouvelles mais qui n'en sont pas tout à fait, sans pour autant dédaigner leur charme. Ce sont des fables, des choses anecdotiques de la vie quotidienne. Quelques-unes évoquent des souvenirs de vacances ensoleillées, ces moments que titille parfois un brin de nostalgie. Le premier texte nous donne raison, qui nous emporte d'emblée au Mexique, à Puerto Papaya. À l'hôtel Tropicoco, où nous retrouvons Yoani qui, joyeuse et indépendante, y travaille comme femme de chambre. Le nouveau client qui occupe une des chambres qu'elle ordonne, se montre courtois et généreux. Cependant, un incident se produira qui la rendra méfiante, mettant toutefois en valeur son talent de plieuse de serviettes de bain. Cet hôtel touristique abritera aussi Normande et Maurice qui, à la suite d'un deuil inusité, conseillés par leurs voisins, viendront y chercher un soupçon de  réconfort. C'est le départ de l'aéroport et leur arrivée à l'hôtel que l'auteur nous dépeint avec un humour efficace. D'ailleurs, l'humour est omniprésent dans ces récits, allégeant les conditions fluctuantes que subissent les protagonistes. Des allusions, des clins d'œil vers cet endroit édénique, nous transportent sur une île où seules les apparences suffisent au séjour des vacanciers. Comme dans le récit Steve et le jardinier, l'un et l'autre à la recherche de sensations érotiques. Quelques regards appuyés, quelques paroles sibyllines, invitation codée entre les deux hommes qui satisfera leur désir, sans aucune gratuité. De nos jours, tout se paie, le plaisir sexuel n'échappant nullement à ce profit charnel. Plus conventionnelle, la nouvelle éponyme, l'anniversaire d'une vieille dame lasse de la vie. Ses enfants sont venus la fêter mais le cœur de Pierrette n'y est plus. Elle voudrait mourir, son cœur refuse de l'entendre. Seule l'amitié d'Aline édulcore ses griefs. Car, l'air de rien, la vieille dame s'insurge contre les interdits de cette maison de retraite. Quelle différence existe-t-il entre le luxe d'un hôtel pour vacanciers aisés et une maison de retraite qui se veut honorable mais où les animaux domestiques n'ont pas droit d'entrée ? Des tricheries soudées aux apparences qu'il faut sauvegarder...

Ces textes présentés en douceur qui dévoilent les artifices d'un hôtel luxueux vacancier, tel le symbole d'une existence coutumière, menacée d'ombres éprouvantes alimentant d'autres récits, comme pour signifier que les figures joliment concoctées avec les serviettes de bain par Yaoni, se défont et se refont juste pour allécher le touriste. Une paruline, venue se jeter contre une vitre et tomber aux pieds du narrateur, s'avère l'image dénonciatrice des plaisirs factices étouffant nos déboires. L'oiseau, gravement étourdi, se remettra de ce choc, laissant « deux ou trois plumes jaunes dans son sillage », message adressé à l'homme qui prévoit une journée « belle et ensoleillée ». N'est-il pas un vacancier insouciant paradant sur une île paradisiaque ? Une fiction amusante, un éloge des pieds représentés par un narrateur qui voit en cette distale inférieure, un moyen irrépressible de séduction. Deux hommes, Pierre et Paul, rechercheront des partenaires aux pieds évocateurs mais eux-mêmes, foulant le sable, ne sauront s'attirer, leur personnalité s'avérant incompatible. Des fictions souvent réalistes rassemblées dans ce recueil étirent des sourires, exhalent des soupirs, nous portent à la rescousse de quelques individus atteints des failles communes à l'être humain. On pense à Madeleine qui, sur les instances de l'ami Steve, heureux vacancier que nous avons déjà rencontré en ce lieu de plaisance, séjournera à l'hôtel Tropicoco. Les hésitations de Madeleine, la routine pitoyable de sa vie qui interfère ses meilleures intentions jusqu'à son arrivée mouvementée à l'aéroport. Femme représentative d'une grande quantité d'humains qui ne savent se libérer du carcan d'habitudes contraignantes. Se départir d'obligations négligeables avant qu'il soit trop tard.

Ainsi va la vie ordinaire qui camoufle les cent coups qu'elle réserve, exhibe les deux cents qu'elle inflige, suggérés dans de brèves fables touchantes, parfois cruelles, témoignant de la gravité ou de la légèreté que les individus accordent à leurs péripéties existentielles, celles du recueil ne pouvant être toutes citées. Ce qui serait redondant, les jours et les nuits vécus hors des fragrances éphémères d'un hôtel où des hommes et des femmes ne savent ou ne peuvent se défaire de leurs chaines tressées d'attaches restrictives. Telle Bernadette, portant tragiquement sa croix jusqu'à sa mort accidentelle... On a apprécié que le livre se ferme sur un coucher de soleil glorifiant Puerto Papaya, closant ces vingt-deux histoires qui dépeignent la solitude importunant une poignée d'individus, mettent en relief les avatars dont chacun se croit victime. Sans cesse, nous pensons reconstruire nos fondations personnelles, ce qui nous harmonise à la nature qui, face à une civilisation expirée, reprend ses droits liminaires... L'auteur, Yves Angrignon, a moindrement ajouté son grain de sel à ses nouvelles, faisant, le temps de les lire et peut-être d'y réfléchir, un divertissement dépourvu de morale, où l'écriture ceinte d'un brin de poésie, jamais encombrée de scories inutiles, s'amalgame à un style dynamique où ne s'appesantit pas le travail routinier de l'écrivain. On lui en sait gré.


Pour mourir, c'est différent, Yves Angrignon

Éditions Crescendo, Québec, 2022, 86 pages

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