lundi 20 juin 2022

Des univers fantasmagoriques qui n'engagent que soi *** 1/2


On se lève de bon matin, la semaine commence. On ne s'y attend pas, un événement bouleverse notre journée toute neuve, toute bleue, lumineuse. On doit s'habiller rapidement, rejoindre l'événement trois rues plus loin, le temps d'interrompre la musique, de fermer l'ordinateur, et on part. L'événement est agréable, il nous conduit vers une terrasse, en plein soleil. Les sourires, forme de complicité, nous tiennent heureuse compagnie. On commente les nouvelles d'Éric C. Plamondon, Bizarreries du banal.

Elles sont bien étranges ces histoires à dormir debout, elles émoustillent notre curiosité sans jamais nous perdre dans les dédales parfois inquiétants de petits minotaures modernes. Chaque récit nous emporte vers un univers confondant, à peine avons-nous le temps de souffler que, déjà, il faut se faire le spectateur attentionné de personnages soumis à la limite d'un équilibre précaire, s'exhibant sur la corde raide de situations insolites, risquant de trébucher dans le vide. La première nouvelle, Une journée entre amis, se définit tel un préambule, nous invitant à suivre les agissements incertains d'hommes et de femmes qui osent s'aventurer dans une zone brumeuse, insoupçonnée, de leur personnalité complexe. Ce que confirme un narrateur, réparateur de télé, quand il se présente avec son patron, Will, dans un appartement. Les deux hommes sont accueillis par un silence oppressant, où semblent ne survivre que des spectres, le temps passant sur les humains, accablant témoin de ce qu'ils deviennent, des ombres ou si peu. Will répare la télé en noir et blanc, artefact obsolète, renforçant le malaise du narrateur qui doit se rendre aux toilettes. Il se heurte à des portes, des couloirs, des interrupteurs. À une personne inerte couchée dans un lit. Le bourdonnement d'un ventilateur le réconforte, brise le silence du lieu au point de couper les envies naturelles du narrateur qui fait demi-tour. Quand ils quittent l'appartement, l'ouvrier demande des explications à Will, mais celui-ci ne peut lui en donner. Le réparateur de télé. Plus loin, un étonnant prétexte nous emporte en Italie, en compagnie d'un professeur, chercheur à l'université. Ici, un reliquaire calcule le temps avant d'annoncer la fin du monde. Il suffit de le manipuler selon un code convenu pour que se mette en branle la relique démontrée savamment par l'écrivain, le professeur ayant été invité à une cérémonie matinale qui déjoue toutes les prédictions : insérer une petite clé dans l'ouverture du reliquaire sous le regard curieux du narrateur qui en apprendra davantage par le curé du village. Mais sommes-nous maîtres de notre destinée, universelle, celle réservée à tous les humains ? Rites oubliés soudoyés par une machine, confirmant notre petitesse face à la colère divine. 

On ne mentionnera que les nouvelles qui ont marqué la sceptique qu'on est, alourdie de tous les doutes de l'existence, les récits qui dépeignent les avatars d'humains parfois crédules. Comme la jeune femme qui monte dans une voiture par temps désagréablement pluvieux. L'invitée. Elle se retrouve dans une pièce, nue, désarmée, ne pouvant qu'assumer son enlèvement. Elle prend la peine d'observer l'endroit où elle gît, une cheville attachée à une longue chaine, l'anneau scellé au centre de la pièce. On a pensé combien les rapports entre les humains étaient trompeurs, nous demandant si cela était le but de ce texte où la fragilité d'une femme criminelle malgré elle, les failles d'un tueur en série modifiant le cours de machinations subtiles. Courtoisie suspecte de l'homme avec, dans la tête, son projet insensé, méfiance de la femme qui ne pense qu'à s'échapper, sa situation inconfortable ne lui réservant aucune porte de sortie autre que celle de l'autodéfense. Elle y parviendra mais à quel prix. Celui du renversement des rôles, le fantôme du tueur ne nous a jamais quittée. On n'est pas certaine de ce qu'il adviendra de la narratrice, les fantômes ayant plus d'un tour dans leur sac... Plus loin encore, Verdure nous rappelle que l'herbe du voisin est toujours plus verte que celle de notre jardin jusqu'au jour où l'imposture nous jette dans la fosse véreuse d'une compagnie d'engrais pour végétaux. On ferme les yeux sur la fin hasardeuse de la capitale parisienne, préférant envisager un voyage exaltant dans ses rues pittoresques et monuments historiques. L'accident, texte bref, émouvant, fait délirer un homme, victime d'un grave accident de voiture, sur le point d'agoniser, le mot fatidique de sa mort prononcé par une fillette. Pour lui, le temps s'est rétréci et défiguré, jusqu'à l'effacement. Puis, on se prête à une dérangeante incursion dans l'univers d'un homme et d'une femme jeunes, meurtriers de personnes qu'ils choisissent à l'aveugle dans un annuaire téléphonique. On a droit à la minutieuse description de leur macabre entreprise avant qu'ils rejoignent leur victime désignée. Que de gestes étudiés, que de glaciales certitudes, personnages tout droit sortis d'un film de Stanley Kubrik. Peut-on dépeindre un plan descriptif quand les attitudes corporelles sont imprégnées d'une telle débauche virtuose ? Froideur exacerbée qui ne peut que laisser insensible un témoin-lecteur dont les desseins s'avèrent au-delà de toute fourberie cérébrale. 

On terminera notre recension énumérée par ordre préférentiel en soulignant la nouvelle Le visage, qui nous a fascinée. Un clown, enfant raté, humain désemparé par la mort de sa mère, seule femme à avoir vu son visage démaquillé, mère possessive malsaine vénérée dont l'histoire ébréchée du fils finira mal. C'est l'enquêteur, chargé de débroussailler un mystère concernant le clown, qui divulguera le pot aux roses lorsque des enfants découvriront un masque charnel de clown jeté dans une poubelle publique. Lorsqu'un inconnu aux abords d'un cirque le questionnera sur la suite de ses investigations. Échangera avec l'enquêteur une poignée de main inattendue. Il serait dommage de révéler les appâts vénéneux de ce récit, là encore l'être humain se révélant le voyeur tragique de ses propres conditions terrestres, le clown choisissant d'y mettre un terme. Ce sont là des nouvelles déconcertantes, intemporelles, pour un esprit rationnel, l'écrivain, Éric C. Plamondon, nous invitant à en découvrir des inédites sur ericplamondon.com On se fera un plaisir masochiste en faisant connaissance d'humains moins incrédules que soi !

 

Bizarreries du banal, Éric C. Plamondon

Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2022, 192 pages

1 commentaire:

  1. Pour une fois que je lise une critique, je dirais Bravo ! Quoique condensé mais le texte paraît exhaustif. Chaque mot vous traîne jusqu'à la dernière phrase. Sublime !

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Commentaires: