lundi 8 août 2022

Une maison qui impose ses volontés *** 1/2


Notre vie qui, deux ans plus tôt, nous aurait semblé banale, porte en elle aujourd'hui des petits bonheurs, des allures d'enfant convalescent, des moments pleins, autrefois creux. Comme quoi les gestes et les mots prennent l'importance selon les événements qui nous endorment avant de nous éveiller. L'inertie, autant qu'un trop grand enthousiasme, ne vaut rien à la nature dolente qu'on est. On parle du deuxième roman de Myriam Vincent, À la maison.

Ce n'est pas pour donner raison à la narratrice de cette insolite histoire qu'on affirmera que des lieux destructeurs existent, agissent sur des personnes ou sur leur environnement. Et ce n'est pas ce roman qui va nous dissuader de ce phénomène. Le récit, banal en soi, met en scène un jeune couple de vingt-quatre ans, Jessica et Phil, qui achète une maison en banlieue de Montréal. Ils ont peu d'argent, doivent se soumettre à leurs conditions financières. Lui enseigne, elle, travaille dans une librairie, elle est enceinte de plusieurs mois, le temps presse de déménager d'un minuscule appartement montréalais. Deux personnages certes, mais un troisième, avance-t-on sans se tromper, va interrompre le cours de leur vie ordinaire. Une maison blanche, intérieur comme extérieur, aucun recoin ne fait grâce au malaise qu'éprouve Jessica, vulnérable, émotive, en la visitant. Contrairement à Phil, homme méthodique, qui voit plusieurs avantages dans cet achat. La maison se dresse sur deux étages, en face, une petite forêt où l'ancien propriétaire s'est pendu. Certes, il faut du courage pour habiter dans une telle demeure où le blanc refuse de s'en laisser conter... Ce qui arrivera à Jessica qui traverse une grossesse douloureuse l'obligeant à démissionner de la librairie où elle travaille. Phil enseigne à Montréal, il est absent chaque jour, laissant Jessica aux prises insupportables avec une maison devenue traquenard. Elle ne comprend pas pourquoi les vitres refusent de ne pas jeter leur saleté quand elle les nettoie vigoureusement, pourquoi les murs n'absorbent pas une nouvelle peinture pour cacher cette blancheur qui fatigue les yeux. Plus grave, les murs ne supportent pas que Jessica épingle des affiches sur leur surface laiteuse. La maison commet ces tumultes quand Jessica est seule, d'où l'incompréhension de Phil quand, hésitante, elle lui fait part de ces extravagantes péripéties.

Quelques semaines plus tard, l'enfant naitra brutalement. Dehors, c'est la canicule, Jessica se rafraichit dans la baignoire, elle somnole et, soudainement, se rend compte que l'eau a la couleur du sang. Affaiblie par les remous outranciers de la maison, elle pense que celle-ci lui joue encore un mauvais tour. Affolée, elle appelle l'urgence qui la conduira à l'hôpital, dans un état inconscient. C'est Phil qui, à son chevet, lui racontera comment leur fille est née. Maternité contrariée par l'influence néfaste d'une maison isolée dans un village où Jessica ne connait personne. Méfiance de plus en plus évidente de Phil face au comportement incohérent de sa femme. Lentement, leur couple se défait dont Jessica est très consciente. Leur fille se révèle une enfant pleureuse, endommageant l'équilibre mental de sa mère. Elle fera la connaissance de la mère du pendu qui ne s'est pas remise de son suicide, encouragera Jessica à pratiquer des rituels de purification, à marmonner des incantations. Cependant, rien n'y fait, la maison se rebelle de plus en plus quand elle se promène au village ou dans la forêt avec sa fille. Terriblement frustrée, fatiguée, elle devra passer une évaluation psychologique exigée par Phil, qui ne révélera que de l'anxiété, état normal chez une jeune mère...

Jessica, la narratrice, par la plume talentueuse de l'auteure, s'adresse à un témoin virtuel, qu'on ne voit jamais, à qui elle confie ses souffrances, sa lassitude à supporter les caprices insubordonnés de la maison. Elle se rend compte que personne ne lui a tendu une main secourable, ne lui est venu en aide durant sa grossesse, ni après la naissance du bébé. Elle est sous l'emprise d'un épuisement généralisé, d'une profonde détresse psychologique. Ces malaises aggravés d'une honte inexplicable envers la bonté de Phil qui fait beaucoup pour la rasséréner. Plus Jessica s'enfonce dans ses hallucinations, plus Phil sera explicite quant au comportement de la maison, trouvant un raisonnement rationnel aux incidents rapportés par Jessica. Incomprise, à bout d'elle-même, c'est l'une de ces occurrences qui décidera du sort de la maison, un jour que Jessica est partie à l'épicerie avec sa fille. Prétexte à accomplir un acte irréparable ou nous met-elle en face de sa mission accomplie ? On a souvent l'impression que Jessica devance les événements comme pour justifier sa honte de ne savoir vivre ce qu'elle ne souhaitait pas. Ne lui avait-on pas rabâché qu'une grossesse s'avérait un enchantement, un renouveau charnel ? Une maison, le foyer réconfortant où créer une famille ? Où se situe le rêve d'une jeune femme hantée par un pendu excentrique qui se manifeste à l'intérieur des murs pour mieux l'anéantir ? Points d'interrogation que Jessica se pose, pas suffisamment folle pour ne pas avoir conscience de ses fabulations. Mais jusqu'au bout de sa condamnation envers elle-même, n'hallucine-t-elle pas encore sur sa manière aléatoire de cerner un avenir, la normalité des choses de la vie étant son dernier recours, « à l'abri du monde extérieur », maintenant que la maison n'existe plus, ce qui n'est pas une certitude... 

Connaissant peu cette écrivaine, et ne désirant pas nous appuyer sur quelque entrevue, on a été impressionnée par cette deuxième œuvre à l'oralité solide, Myriam Vincent décryptant habilement les défaillances mentales de sa protagoniste. Sorte de huis clos avec elle-même où l'état de la maison reflète des rebuffades contre une grossesse malvenue, contre le risque de ne pas aimer son enfant lors d'un accouchement imprévisible. Récit hallucinatoire, métaphorique, qui révèle la générosité de l'écrivaine à ne pas prendre parti pour ou contre le corps de chaque femme quand se développe dans ses entrailles un être humain encore en son état embryonnaire. Le ventre enfanté ne possède-t-il pas lui aussi ses rébellions hallucinatoires, n'est-il pas une maison chambardée par une soudaine présence, comme l'a été la maison blanche depuis longtemps habitée d'un fantôme qui fut un homme perdu, victime d'un monde trop conforme ? C'est une interprétation personnelle qu'on définit de cette histoire, tant d'autres s'y prêtent, inapte qu'on est face aux agissements démentiels d'une femme et mère tellement vivante qu'elle en a perdu le souffle, le contrôle de son existence...

 

À la maison, Myriam Vincent

Les Éditions Poètes de brousse, Montréal, 2022, 328 pages

 

 

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