lundi 4 mai 2020

Loin de toute feintise romanesque *** 1/2

Elle est bien étrange cette période de notre vie. Dérangeante, elle est faite d'écriture, de lecture. De désertion sur les réseaux sociaux. On s'éloigne de toute rumeur toxique alors que dehors sévit une menace science-fictionnelle, devenue réalité. Nous sommes toutes et tous déconcertés par ce qui n'est plus de la littérature mais ce qu'écrit la vie, aujourd'hui, infectée. On parle du roman de Laurent Lemay, Punaises.

Il est peut-être contre-indiqué de commenter un livre, par ces temps flous où nos robustesses, physique et mentale, sont mises à l'épreuve. Nous cherchons notre équilibre sur une ligne invisible oscillant entre vulnérabilité et infaillibilité, cet état se mesurant à l'importance que nous donnons aux événements qui nous façonnent. C'est le cas du jeune étudiant, le narrateur de ce roman à saveur de haïkus, qui dépeint des fragments de sa vie, sans trop leur accorder plus qu'il ne faut de nécessité. Le jeune homme, incompris, ne faisant rien pour inverser le processus, sous des apparences désenchantées, est avide de tendresse. Il a quitté ses parents qui habitent la banlieue montréalaise, Mont-Saint-Hilaire. Une mère dévouée à ses deux enfants, à son mari. À sa maison. Une sœur, Zoé, dépressive, qui ira de mal en pis, malgré l'affection attentionnée de son frère. Celui-ci fréquente l'université, intéressé par la scénarisation cinématographique, se souciant peu d'un éventuel avenir. C'est un solitaire pétri de l'amour-propre d'un adolescent impulsif, comme s'il avait vécu de profondes expériences sentimentales et sociales, chimère proférée dans ce quotidien banal, tellement réaliste, trop peut-être, l'empêchant de s'illusionner sur les personnes qui gouvernent son existence.

Par hasard, dans le métro, il rencontrera Maxime, adolescente qu'il a aimée quelques mois auparavant, plus que d'autres filles de son âge. Elle l'a quittée subitement alors que tout allait bien entre eux, on veut dire que tous deux préservaient cette sorte de sentiment nébuleux qui unit une jeunesse indécise. Elle aussi est étudiante, l'appartement qu'elle partage avec deux colocataires, est infesté de punaises de lit qu'elle essaie de combattre sans grand succès. Une silhouette surgit à tout moment, sur qui repose l'ensemble des agissements du narrateur : Cédric, tout à fait son opposé sur bien des points. Cédric fréquente une bande, séduit les filles facilement, nous ne savons trop, quand l'histoire se mouvemente, pourquoi le narrateur cherche à se venger de lui d'une manière plutôt naïve. Pourtant, réfléchie lorsqu'il rentre en scène. Préméditation que Zoé, sa jeune sœur, renforcera chaque fois qu'il ira chez leurs parents, la questionnant habilement sur ses tourments existentiels.

Comme nous tous en cette période confuse, qui nous balançons d'un côté et de l'autre, qui sollicitons nos manques habituels, il en est de même des protagonistes de ce récit excessif où la bière, des odeurs de pot, des engueulades avec les amis, le patron de l'épicerie où il travaille, patron qu'il finira par envoyer promener, tous servent de toile de fond, nourrissant ses refoulements. Il aime la solitude, les allées et venues imprévisibles de Maxime qui boit trop, qui lui annonce en dernier lieu qu'elle est invitée en Gaspésie, dans une résidence d'artistes, elle y séjournera tout l'hiver. C'est une fin en soi en cet automne de feuilles pourries, mais aussi un commencement quand il se sera vengé, croit-il, de Cédric, le narrateur essuyant le revers de sa stupide vengeance.

Infection de punaises, certes, mais le récit exprimé par un jeune homme à connotation romantique, se dissèque au-delà des apparences. Ce dernier se traite de lâche, se persuadant que les personnes qu'il aime accomplissent ce qu'il est incapable de gérer, par manque d'enthousiasme vital. Surtout à cause d'un masochisme évident de vouloir s'amoindrir, comme si la négation de soi et des autres s'avérait suffisante pour enrayer ses projets de réussite. Même son langage s'insère dans une vulgarité exagérée, langage rédigé par Laurent Lemay, qui nous émeut peu, ayant apprécié l'intelligence de l'étudiant et celle de l'écrivain. Jusqu'à la fin de son périple universitaire automnal, alors qu'il doit se présenter à une audition cinématographique, il se définit par le rejet de lui-même, laissant ainsi la suite de sa vie ouverte à diverses déceptions et convoitises. Il ne choisit rien, il crée ses propres défaites, les accumule pour se protéger de ce qu'il croit ne pas être. S'en défend après qu'il a été vaincu par Cédric.

L'écriture que l'écrivain, Laurent Lemay, utilise, énergique, déflorée de sentimentalisme, sans complaisance, dément la débilité d'un personnage qui ne fait que jouer avec lui-même pour mieux se perdre dans les méandres de ses incertitudes. On s'attend à ce qu'il y ait une suite rimbaldienne, emboitant les séquences marginales dans le métro, dans un party, dans une cafétéria, la présence douteuse d'une sans-abri qui le nargue. Le désir sincère de Maxime de le revoir. De Zoé qui lui ayant avoué les causes de son désespoir, ramène son frère à des contrepoints humains, seuls contacts éphémères de ses journées. Le monde tourne, vertigineux, la jeunesse passe, ses doutes, ses promesses, ses reniements. Conséquence d'une lucidité dont souffre un jeune homme exacerbé par une révolte intérieure qu'il extériorise pour la supporter, ou peut-être redoutant de la voir filer trop rapidement. Sachant que l'âge adulte remet les pendules à leurs heures tristes, à son goût, trop bien ordonnées, pas suffisamment fugaces... 

Punaises, Laurent Lemay
Éditions Druide, Montréal, 2020, 224 pages

lundi 20 avril 2020

L'amour et ses tricheries ** 1/2

On remercie les personnes qui, durant quelques minutes, nous font croire qu'on est indispensable. Nous affirment à travers la naïveté de certains mots que notre travail en vaut la peine. On se laisse bercer par de telles affirmations illusoires, qu'un revers de la main écarte vitement, jugeant qu'aucun labeur intellectuel de cet ordre nécessite une telle attention. C'est un répit qu'on s'accorde avant de passer à autre chose. On parle du roman de Chantale Ostigny, Je te promets fidélité.

Après nous être vautrée dans plusieurs ouvrages qui nous ont imprégnée de leur originalité thématique, de leur écriture exigeante, on plonge aisément dans des histoires plus simples, plus conventionnelles. Ce qui est le cas du deuxième opus de cette auteure qu'on ne connaissait pas. L'histoire en vaut une autre, comme nous disons, elle tient sa place dans l'existence personnelle de certains êtres qui, malgré les apparences, traversent des périodes difficiles. C'est la manière de décrire leurs déboires qui compte, leur donne quelque intérêt quand nous les lisons. Serait-il plus éloquent de les vivre que de les narrer, les émotions n'étant pas toujours simples à décortiquer dans leur absolue intégrité ?

Alexandra — Alex — mariée à Charles depuis cinq ans, vit des jours heureux avec son conjoint. Ils ne sont que tendresse l'un envers l'autre. Elle est enceinte de leur premier enfant. Lui est avocat, elle, décoratrice d'intérieur. Un soir, le couple s'apprête à recevoir les parents de Charles : un père conciliant, une mère frustrée qu'une jeune femme lui ait ravi son fils trop aimé. Au détriment de leur fillette de douze ans, qui s'est suicidée des années plus tôt. Est aussi invitée la grand-mère d'Alex qui a élevée sa petite-fille quand, à deux ans, ses parents ont été tués dans un accident ferroviaire. Une complice affection les unit. Avant que la famille arrive, Alex se rend compte qu'elle a oublié les bougies, Charles se propose de sortir en acheter. Le temps passe, le repas aussi, Charles n'est toujours pas de retour. Au bout d'un moment, deux policiers sonnent, ils apprendront à Alexandra que son mari s'est tué dans un accident de voiture. Nous devinons le désarroi d'Alex, les affres du deuil qu'elle subira. Quelques jours plus tard, le patron de Charles lui fera parvenir des objets que son employé gardait dans son bureau. Se décidant à trier le tout, Alex se posera moult questions quand elle trouvera des photos où Charles enlace une femme. Dans son portefeuille, deux reçus d'un fleuriste.

L'amour a ses failles, la confiance aussi. Le doute est ravageur quand il s'infiltre dans les sentiments d'une femme de trente ans qui n'avait jamais soupçonné son amoureux d'une quelconque tromperie. Sous le choc de cette malencontreuse révélation, désespérée de se retrouver seule, Alex a perdu son bébé. Se reprenant en main, elle fera son possible pour rencontrer la maitresse de son mari. Un collègue, ami intime et douteux de Charles, qu'elle déteste, lui vendra la mèche. Finalement, les deux femmes se donneront rendez-vous dans un bistrot. Claire est jeune et ravissante, sur le point d'accoucher, l'enfant est de Charles. À la suite de cette sordide découverte, Alex se réfugiera à la campagne dans le chalet de sa grand-mère. Elle fera la connaissance d'un vieil homme, monsieur Larose, ( euphémisme ? ) qui s'attachera paternellement à Alexandra. Décoratrice, celle-ci a repris les pinceaux, sous l'œil admiratif mais douloureux du vieil homme. Il lui confiera qu'il avait un fils doué pour la peinture. Lui interdisant d'en faire sa profession, Jean s'est enlevé la vie. Un mystère plane dans une pièce du chalet, tenue secrètement fermée. Un mystère plane aussi entre la grand-mère d'Alexandra et le vieux monsieur Larose, qui sera éclairci avant de clore l'histoire. Et soi de fermer le livre avec soulagement.

Histoire pathétique qui ne nous a pas convaincue. On s'est demandé si de telles femmes, coupées du monde réel comme Alexandra, existaient encore. Cette dernière s'entoure de personnes qui l'aiment, même sa belle-mère reviendra à de meilleurs sentiments. Déstabilisée, fragilisée à la suite de la trahison de son mari, elle passe d'un état dépressif à des stades euphoriques. Tant de larmes sporadiques traversent le livre, au point d'en être agacée. L'histoire aurait beaucoup gagné en efficacité si une révision sérieuse avait été faite, ce manque de rigueur atténuant la véracité du récit. Son aspect sentimental d'une certaine littérature des années quarante et cinquante nous a surprise, quand nous savons combien de manuscrits sont rejetés par les maisons d'édition. Pourquoi a-t-on lu ce roman ? Pour faire diversion, nous questionnant sur les intentions d'auteurs-es qui veulent peut-être faire oublier au lecteur, surtout à la lectrice, les malheurs de ce monde. C'est légitime à condition de lire ces fictions au premier degré. De les considérer comme de romanesques intermèdes avant de plonger à nouveau dans des romans qui en valent le détour, sur des chemins bordés d'épines actuelles et non sur des sentiers essaimés de roses dégriffées, quitte à remettre les humains en question...

 
Je te promets fidélité, Chantale Ostigny
Groupe Fides Inc. Montréal, 2019, 175 pages