lundi 2 août 2021

Un crime sans meurtrier, ni morale *** 1/2


Curieux été qui se fait bleu un jour, gris le lendemain. On a l'impression désagréable qu'il influence nos humeurs, celles des gens autour. Un silence alourdi puis soudainement un bruit, tel un fracas redoutable. Des rues fleuries puis des routes où les herbes hautes s'empoussièrent au passage rapide des voitures. Une envie irrépressible de partir vers d'autres paysages puis la sédentarité prend toute la place. La saison coule, équilibrant nos oscillations. On commente le roman de Jean Bello, Un assassin en résidence. 

Quelle fragilité injuste que la lecture. Combien soumise à nos états d'âme. Il nous est arrivé de lire un roman dont l'histoire ne nous disait rien, ou si peu. On l'a rejeté pour lire autre chose puis, reprenant l'objet repoussé, on lui a trouvé d'innombrables qualités insoupçonnées. Cet état à double tranchant, qui nous dérange, nous est arrivé avec le livre de cet écrivain dont on connait l'œuvre, l'ayant commentée favorablement dans ce blogue. Tout d'abord, indifférence et sourire. Ennui et enthousiasme. Que s'est-il passé, on l'ignore. La conclusion, c'est que cette histoire policière, se déroulant dans une résidence pour gens aisés, Au Jardin Desjardins, nous a distraite des ouvrages qu'on lit habituellement à pareille saison. Résidence pour rentiers, où la vie a des allures de nomadisme bourgeois, les retraités jouissant d'un confort non négligeable. 

L'histoire de ces personnes âgées qui essaieront de résoudre le meurtre de Mathieu Bibeau, infirmier de nuit, se divise jour par jour, heure par heure. Pas une minute à perdre pour mettre la main sur l'assassin qui galvaude dans la résidence. Après avoir mené l'enquête discrètement, la police semble avoir capitulé, faute de preuves concrètes. Conclusion que refuseront six membres de la communauté qui décident de résoudre le mystère, à leur façon. C'est Violet, Anglaise francophile, « assez hautaine et plutôt sévère », genre Miss Marple, qui mènera le bal, secondée par Marguerite, ancienne enseignante, femme de soixante-trois ans, pourvue d'attraits physiques qui titillent les hommes, dont un en particulier, rencontré par hasard en allant à la bibliothèque. Marie-Rose, amie de jeunesse de Marguerite, retrouvée quand elle s'est installée dans la maison de retraite. Jasmin, vieillard de quatre-vingt-treize ans, sur le point de perdre la tête pour une auxiliaire infirmière haïtienne. Le juge Robert Lavigueur qui a bien des choses à cacher sous ses airs bourrus. C'est lui et Jasmin qui découvriront le cadavre de Mathieu Bibeau, le dos transpercé d'un couteau, volé mystérieusement dans la cuisine. On n'oublie pas Ginette, au passé peu enviable, dévouée à son amie Pâquerette, professeure émérite, maintenant résidente Au Jardin Desjardins. Les soirées chez Violet ou chez Marguerite se déroulent entre les tisanes, le thé, et plus stimulantes pour mener l'enquête, des liqueurs convenant aux vieilles dames, tel le porto. Des discussions à propos de tout et de rien, des révélations d'ordre privé, essaiment les raisonnements pragmatiques de Violet, qui, lentement, imposent leur rythme. L'humour l'emporte quand les uns et les autres prennent la parole, se délestant en partie de leur vie passée, le présent s'avérant jouissif, symbolisé par les amours tonitruantes de Marguerite et de son Italien, Faustino. La scène où Marie-Rose intervient, entendant gémir et crier son amie Marguerite est hilarante. Elle imagine que le meurtrier de l'infirmier de garde, assassine à son tour Marguerite. Scène que l'écrivain a dû saisir, telle une photographie, le sourire aux lèvres. Et d'autres, comiques, ajustant des pointes caustiques, parcourent le roman, tout en insérant des messages intentionnels, comme le pouvoir douteux des hommes, comme la politique du Québec narrée par Faustino, rabrouant les agissements de ses compatriotes envers le pays d'accueil. Les sauveurs de la planète qui se contredisent dans leurs actions. On en passe, mais le livre est grave sous ses airs de dilettantisme savoureux. Comme dans la vie, l'aspect blanc et noir de l'existence ne manque pas de nous remettre les pieds sur terre grâce au ton narratif qu'emprunte Jean Bello entre deux galéjades.

Même si les bonnes intentions de Violet, entrecoupées de délicieux repas concoctés par la Française Marie-Rose, échouent dans leur logique, l'entêtement farouche de l'Anglaise réconforte ses partenaires, qui redoutent les futures soirées au goût de tisane, maintenant que ces derniers ont pris goût aux alcools doux et aux biscuits à saveur de cannabis préparés par un complice de la victime, Mathieu Bibeau. On taira des suppositions qu'élaborent Violet, mais quand elle invitera le juge Robert Lavigueur à assister à l'une de leurs réunions, il est clair qu'une idée poursuit son chemin dans son esprit surexcité par d'insoupçonnables indices, qu'a mal détecté la police officielle. Si peu sera dévoilé même ce si peu comporte une insidieuse accusation qu'elle ne peut dévoiler, adoucira le comportement agressif du juge. Accusation à rebrousse-poil dont la teneur, sans moralité, sans arrestation, sans requête judiciaire, nous surprendra agréablement, la grandiloquence théâtrale de Violet, ayant eu raison des silences suspects du juge qui, à son insu, avait mis au jour le rôle du triste personnage qu'était l'infirmier de garde, Mathieu Bibeau. La seule moralité sera amorcée dans les paroles pacifiques que Faustino tiendra à Marguerite quant à « la justice qui sauve plutôt qu'elle ne punit. »

Récit peu usité parmi les romans policiers qu'on a lus cet été, même s'il nous a fait penser à tous les assassins qui réussissent à passer à travers les mailles de leur condamnation, à se soustraire au châtiment qu'ils méritent, ces derniers n'ayant eu aucune compassion pour leurs victimes. Cela se voit tous les jours, l'impunité manifestée envers des hommes qui, pour la plupart, récidivent. Bien qu'on souhaiterait que la justice montre son apanage inattaquable. Histoire délicieuse à savourer au bord de l'eau ou dans une campagne verdoyante, ou sur un balcon citadin. La présence rassérénante de Marguerite et de Faustino, celle de Violet, assoiffée d'histoires scabreuses à démêler, celle de Jasmin et de ses problèmes intestinaux, d'Agrippine, la jeune et jolie infirmière haïtienne. Portraits d'une société à laquelle nous appartenons, de laquelle nous partageons les rires et les grimaces, se reflétant dans une fiction minimaliste, tellement bien cernée par l'écrivain Jean Bello, qu'elle donne l'envie de se rassasier de bonté et de pardon, de se vautrer dans des amours à saveur de mets italiens, de sexualité amoureuse, dernière étape fulgurante d'un certain âge...


Un assassin en résidence, Jean Bello

Éditions Québec Amérique, Montréal, 2021, 240 pages

lundi 26 juillet 2021

Des auberges, un château, pour un séjour inusité *** 1/2


Aimant peu les citations, souvent extraites de livres qu'on a lus, on préfère ignorer la morale qui s'en dégage, ne tenant pas compte du contexte englobant ces quelques phrases. C'est comme un corps soudainement amputé. Il y a tant à tirer de la vie sans nous gaver d'opinions toutes faites, n'engageant qu'un auteur en mal de certitudes existentielles. On commente le numéro 146 de La revue XYZ de la nouvelle. 

C'est un thème fort alléchant qui fait figure de voyages aboutissant vers d'autres rives. Ceux des B&B qui nous font rêver, sortir les valises. Pourtant, oui, pourtant, il s'en passe des vertes et des pas mûres dans les textes de dix auteurs et autrices, convoqués par Jean-Paul Beaumier et Hélène Rioux. Destination vers l'insolite, on ne saurait mieux faire. L'honneur en revient à Gaëtan Brulotte qui nous convie aux abords de la retraite en compagnie d'un couple qui envisage d'ouvrir un B&B. Stimulant projet qui va se disproportionner quand, soupant avec leurs amis Lothaire et Léo, « bêtes à concours », ils feront la connaissance de deux Français, Anne et Thibaut, futurs retraités. Eux aussi rêvent d'un gîte où les clients pourraient faire du ski, Anne et Thibaut habitant une région montagneuse française. Invités à prospecter une future auberge, le narrateur et sa femme séjourneront chez leurs amis qui, déjà, ont une idée bien en tête. Après de grandiloquents projets autour d'un château du XIXe siècle, le « rêve de conte de fées » se dissipera, tel il avait pris forme. Nous le savons, après avoir atteint un sommet, nous devons redescendre, ce qui n'est pas toujours simple. On a souri à la dernière goutte distillée par leurs amis Lothaire et Léo qui, à un concours, ont gagné un séjour d'une semaine dans un superbe château français. Réjouissante entrée dans l'ensemble d'un numéro qui oscille entre l'enthousiasme et la déception lorsque les protagonistes, pour des raisons sans importance, se retrouvent dans un gîte pas toujours de leur choix. C'est le cas de la narratrice de la nouvelle de Christiane Lahaie, La prochaine fois, qui, durant une nuit, subit les désagréments d'une chambre peu avenante. Ne pouvant dormir, elle s'attarde à la fenêtre, se rend compte qu'elle est surveillée par une femme qui, pense-t-elle, « habite le manoir voisin ». Agacée et déçue, la narratrice imaginera bien des aspects négatifs à son égard. De la compensation flotte dans ce court texte pour pallier l'insomnie, peut-être pour se rassurer. Un récit très intériorisé, Domaine Annie-sur-Mer, signé Geneviève Boudreau, nous met face à la colère d'une femme qui, après une dispute, grave, on dirait, avec sa compagne, est partie seule là où les deux devaient séjourner. Pour calmer sa rage, elle se met à nettoyer la chambre pourtant « coquette et propre... ». Des bribes de leur dispute s'immiscent entre deux coups de chiffon, entre le récurage du bain « déjà reluisant de propreté... » Un passé lointain, un passé proche, peuvent endommager une relation amicale ou amoureuse, la plus extravertie des deux protagonistes astiquant jusqu'à l'invisibilité des « rebuts du passé », jusqu'à vouloir se faire disparaitre. Une fiction, à peine, à la portée de chacune et chacun quand tout, croit-on, se détériore à cause de mots malhabiles. 

Après la nouvelle inquiétante d'Emmanuel Bouchard, où dans une pension séjourne un homme qui assiste à un congrès d'affaires, décrit chaque nuit sur sa machine à écrire de violents bruits qui se produisent dans la chambre d'à côté, qui s'éteindront tragiquement, nous entrons dans un rêve éveillé, dans une atmosphère neigeuse en compagnie d'un homme qui, seul client dans une auberge, fait la connaissance d'une vieille femme mystérieuse prénommée Nina, au comportement suranné. Le narrateur s'éprend d'elle, s'investit dans une époque qui n'est pas la sienne. Quelques jours plus tard, la vieille femme disparait, elle lui a laissé une enveloppe et un livre... Peut-on avancer que cela s'apparente à un regret, ce manque illusoire autour d'une personne célèbre de qualité intellectuelle supérieure, avec qui nous nous inventons des affinités ? Nous ne sommes parfois que le miroir de ce que nous voudrions être. Histoire touchante, Nina d'un autre temps, signée Noëlla Deschênes. Sur le même ton, mais plus réaliste, le récit d'Emmanuel Poinot, Le parapluie d'Émeline. Là encore, un homme seul dans une auberge, ne sachant trop pourquoi il est là, sinon qu'il a l'impression d'avoir laissé son passé derrière. Il sera accueilli par une femme avenante, très belle, qui le troublera intensément, qui apparait, s'absente. Dans la chambre du narrateur, deux portraits de femmes le déconcertent, les deux et la propriétaire du lieu, Émeline, se ressemblant telles trois gouttes d'eau. Des suppositions se trament dans la tête du client, encourageant quelques questions, inventant quelques réponses qui ne lui suffiront pas. Il décide de partir un matin pluvieux après avoir commis une bévue qu'il répare d'un geste affable. Sourire garanti. Ultime nouvelle traitant de ce thème estival, la déroutante histoire de Jean-Paul Beaumier, La Marocaine. Séjour en Estrie, chargé de compromissions en attendant que cessent les restrictions sanitaires pour partir au Maroc, où déverser dans la mer les cendres de leur fils. Le gîte choisi par Élise, la femme du narrateur, est embelli d'un décor marocain, le propriétaire, Mehdi, reçoit le couple à merveille. Le soir de son arrivée, Mehdi propose au narrateur et à Élise, un repas sublime, agrémenté d'un thé bouillant à la menthe. Buvant son thé, le narrateur dépeint un ciel, « comme rarement il nous est possible de le voir à Montréal. » Lui rappelant, avec regret, son impossibilité provisoire de se rendre au Maroc avec Élise. Quant au matin il se réveille, Élise n'est plus à ses côtés, elle doit être attablée dehors devant un café. Mais nulle part Élise ne se trouve, seule la chaleur s'avère accablante, au loin s'étale un horizon de sable, une femme vêtue d'une djellaba s'éloigne... À sa manière toujours délicate d'aborder une situation insolite, Jean-Paul Beaumier nous a laissée dans un conte moderne, chargé d'incertitude et de fuite, comme nous en abordons dans la vie, sans nous en rendre compte, adoucissant les replis de nos âmes chagrinées. 

On ne peut relater le numéro dans son ampleur même si les dix écrivains, écrivaines, s'étant attardés dans un hébergement peu orthodoxe, nous ont amusée ou émue. Hélène Rioux, toujours habile à évoquer le couple et ses péripéties, n'échappe pas à l'humour qui émane de ses deux protagonistes à la recherche d'un lieu idéal pour rompre la monotonie des restrictions sanitaires. Moins rassurants, Les plans d'origine relatés par Camille Deslauriers. Colère et frustrations secouent le gîte où travaille Gisèle, sa mère lui a légué l'habitation à la condition qu'une chambre lui soit réservée ad vitam æternam. C'était sans compter sur l'insoumise acceptation de sa fille, Gisèle, qui se vengera de cette décision étouffante d'une délicieuse manière. 

Complétant cet excellent numéro, digne de l'été qui nous promet de festifs loisirs, quatre nouvelles alimentent la rubrique " Thème libre ". Fictions qui ont attiré notre attention grâce à leur disparité, tout en gardant une préférence pour le récit de David Hoon Kim, État d'âmesterdam. Le séjour bousculé d'un jeune homme dans la ville d'Amsterdam, qui l'entrainera dans une promenade nocturne hasardeuse. Dans la rubrique occasionnelle " Entretien ", on a savouré la très intelligente et passionnante entrevue entre Jean-Paul Beaumier et la nouvelliste et poète Geneviève Boudreau, dont la nouvelle citée ici, l'une de nos préférées, a su nous affranchir de préjugés qu'il nous est possible de ressentir quand une source rancunière dirige bêtement nos agissements. 

" De bref en bref " met en relief plusieurs recueils de nouvelles, desquels on retrouve les commentaires éclairés de David Bélanger, David Dorais, Cécile Huysman, se limitant à une page. Ainsi se clôt ce dynamique et enjoué numéro sur la manière de séjourner ailleurs que chez soi, prenant le risque d'y faire de singulières rencontres. Sans hésitation, on redemande de ces fables anecdotiques qui procurent des moments de lecture incomparables. De sourires et d'émotions.


La Revue XYZ de la nouvelle, numéro 146

Piloté par Jean-Paul Beaumier et Hélène Rioux

Montréal, 2021, 104 pages