lundi 14 mai 2018

Un prix littéraire mortifère *** 1/2

Des livres. On en mange, on en boit, on en digère, on en vomit. On en donne, on n'en vend surtout pas. Les livres sont des envahisseurs qui, comme les chats, vivent leur vie sans se préoccuper de notre présence. Sans les livres, sans les chats, notre vie serait insipide. Les deux sont complices, ils se permettent des outrances qu'on ne tolérerait de personne. On commente l'opus de Claude La Charité, Le meilleur dernier roman.

Premier roman certes, mais deuxième livre de cet auteur, titulaire d'une chaire de recherche à l'Université du Québec, à Rimouski. Des nouvelles qu'on n'a pas lues, qui nous ont échappé, alors que le genre, souvent, nous séduit. Ce roman original nous a fait largement sourire, parfois grincer des dents. L'écrivain nous emporte dans les coulisses d'une université, dans un restaurant haut de gamme, dans un antre merveilleusement enjolivé de pièces rares. Artefacts d'une époque révolue, animaux empaillés, manuscrits inédits et livres précieux. « Œuvres d'art et créations de l'homme ». Tout ceci appartenant au lauréat du nouveau prix littéraire, qui se remet en question après avoir refusé cette reconnaissance. Le lecteur est informé que cet étalage de situations, de même que les protagonistes, ne sont que fictifs. Il faut donc traiter l'ensemble avec un grain de sel, puis le livre refermé, l'oublier, telle une scorie encombrante. La vie n'est-elle pas un roman, comme l'a mentionné Daniel Pennac dans l'un de ses ouvrages ? Qu'en est-il de cette histoire abracadabrante, même si la réalité, celle des protagonistes, l'emporte sur les symboles parsemant le récit ? Un professeur universitaire, comme il se doit, se prénommant Claude, s'octroyant le rôle de narrateur, réunit ses collègues pour mettre sur pied un prix littéraire, désirant de cette manière intellectuelle stimuler un brin de fatigue qui alourdit leurs épaules, motiver leurs responsabilités professorales. Mais les prix littéraires, au Québec, pullulent. Chaque saison récompense un livre, un auteur. Les partenaires de Claude, et lui-même, s'accorderont pour décerner le prix du « meilleur dernier roman », doté d'une condition farfelue et fatale. Après un dîner fin dans un grand restaurant montréalais, qui évoquera au narrateur les dîners du prix Goncourt chez Drouant, et délibérations houleuses, les jurés décerneront le fameux prix à un auteur prolifique mais peu connu. Henri Vernal. Là, les ennuis s'ensuivront, l'auteur en question se révélant un anticonformiste lucide, extravagant, malcommode.

Ce serait dommage de dévoiler le pot aux roses. Disons que l'histoire pourrait servir de prétexte à remettre les pendules à l'heure, celles de certaines universités, du milieu de l'édition et des écrivains eux-mêmes. Satire loufoque qui a comblé notre curiosité de lectrice insatiable, la surface des choses étant parfois nécessaire à satisfaire nos interrogations, à se questionner sur les ferments substantiels forgeant notre humilité face à quelque digne récompense. La structure narrative rythme la cadence tumultueuse de la remise du prix à l'heureux auteur, qui ne manquera pas d'arriver en retard, de cracher sa diatribe sur un auditoire excédé, médusé, s'agitant autour de sa détestable personne. Telle une turbulence, après qu'elle a déversé ses frayeurs menaçantes, suscite une accalmie rassérénante. Des chapitres entraînant le lecteur au cœur du récit, la suspicion n'ayant pas encore entamé la bonne foi des uns et des autres. On a l'impression que Claude, le narrateur à l'humour incisif, dirige ses marionnettes du bout des doigts, muni d'un stylo et non de fils, la parole déliée au bout de la langue, la véracité de ses propos n'atteignant que lui-même, ses pairs s'éloignant peu à peu de cette débâcle littéraire. Le lecteur se laissant emporter dans un lieu magique comme nous en rêvons, comme nous n'en arpentons jamais. Cabinet des curiosités où se balade le professeur, comme il le ferait lors d'une visite privilégiée dans un musée imaginaire. Après un semblant de procès contre certaines institutions d'enseignement supérieur, le monde de l'édition y compris, cette incursion au centre de la beauté matérielle, nous a réconciliée avec deux hommes méconnus : le lauréat et le narrateur, ce dernier surpris par tant de possessions hétéroclites, étonné que Henri Vernal l'ait abandonné dans pareille grotte mirifique.

S'il est une morale prosaïque — la morale s'avérant souvent factice — à faire valoir dans cette fiction, comme le présage subtilement l'écrivain, Claude La Charité, dans ses préliminaires signés d'auteurs illustres, compères et complices, on préfère tirer notre épingle du jeu en considérant ce livre telle une fable qui nous a distraite le temps d'une lecture, et même de plusieurs. La fin du récit englobe tous les genres, celle chutant de la nouvelle, celle diversifiée du roman, éprouvant le lecteur qui, lui aussi, a son mot à dire quant au dénouement auquel il a le droit et le désir de s'attendre. Roman clairement élaboré, s'étirant d'un événement à un autre, surgissant de chapitres solidement édifiés, organisés de main de maître par un écrivain maniant sa langue et son humour comme rarement on en lit dans la littérature québécoise d'aujourd'hui. Intrigue oscillant entre ses contradictions et ses certitudes. Tergiversant entre le courage et le désœuvrement. Tel le fait de se contempler dans un miroir au tain brouillé, nous détournant de ce que nous sommes, ou de se chercher dans un antre digne de celui de l'enfance. Récit intelligent et délectable, réjouissant notre esprit critique, notre regard ébaubi par les fantasmagories d'un scriptorium livré à notre convoitise d'adulte, jamais rassasié parce que cupide, inassouvi.


Le meilleur dernier roman, Claude La Charité
Les Éditions de l'Instant même, Québec, 2018, 179 pages



1 commentaire:

  1. Il est difficile de trouver de bons correcteurs (trices) et quand j'ai écrit mon second roman, j'ai eu la chance de rencontrer un ancien ami d'école. Aujourd'hui, je ne sais si je confierai mon prochain roman à la même personne. Que me conseiller. Pour le moment, c'est la page blanche. Je doute... Martine Coffre-Miron

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