lundi 20 juillet 2009

Tanguy, un jeune homme moderne ***


Partagés entre l'or du soleil, le bleu du ciel et le vert des arbres, profitons du temps estival pour nous plonger dans quelques livres rafraîchissants. Ils sont écrits pour être lus et appréciés, dans la nature. Ainsi en est-il du dernier roman de Claude Daigneault, Le culte des déesses.

Il ne se prénomme pas Tanguy mais François-Marie ; il a vingt-huit ans et demeure chez sa mère, Liliane, « qui ne vivait que pour sa chronique " d'humœurs " dans un quotidien de la métropole. » Son père est mort d'un infarctus, des années plus tôt. Les femmes qu'il vénère appartiennent au cinéma des années quarante et cinquante. Louise Brooks, Greta Garbo, Gloria Swanson, et bien d'autres déesses de l'époque. Il a pour maîtresse Eugénie, agente immobilière, femme d'âge mûr, attirée par des gigolos qui se plient à ses nombreux caprices sexuels. Oisif, François-Marie dissimule sa crainte de l'avenir derrière une soi-disant recherche. Il « étudie le rôle de la femme idéale dans le cinéma de l'entre-deux guerres [...] », recherche qui avortera comme ses amours invraisemblables. Mais à qui revient la faute d'un tel désœuvrement fluctuant ? Sa mère n'avoue-t-elle pas qu'elle a « hésité cinq minutes de trop à monter à bord de l'autobus de New York pour aller se faire avorter » ? Elle voudrait qu'il déménage du condo que tous deux partagent, mais François-Marie, étrangement dévoué à Liliane, qu'il aime d'une tendresse ambiguë, manigance toujours un événement intéressé pour retarder la vente de l'appartement. Elle finira par louer une pièce à une amie de F.-M. (Flanc Mou), initiales méprisantes qu'utilise Liliane pour désigner son fils quand trop souvent il l'excède.

En parallèle avec l'histoire pathétique de François-Marie, se profile celle de Maureen Donovan. D'origine irlandaise, proche de la quarantaine, elle réside encore chez ses parents à Berthierville, tente l'impossible pour les quitter — surtout sa mère qui ne cesse de l'agresser verbalement ; constamment, ils lui font un chantage affectif pour la garder avec eux. Pour ajouter à ses difficultés, Maureen est affligée d'une tare héréditaire : son cou et l'une de ses joues sont marqués d'une large tache de vin qui a fait fuir les garçons de sa génération. Sa seule occupation valorisante est de publier des albums illustrés consacrés aux tout-petits. « Elle compensait son manque de grâce par une verve pétillante et par une qualité qui lui valait l'admiration bien dissimulée de F.-M. : elle avait publié. » C'est dans un salon du livre qu'elle a rencontré François-Marie affublé de sa « patrouille de louveteaux sur la mescaline [...] » Plus tard, Maureen, qui a échappé à l'emprise de ses parents, se réfugiera chez une tante à Montréal en attendant d'avoir un chez-soi. François-Marie verra en elle une sorte de miroir inversé et la présentera à sa mère comme une possible locataire. Après bien des péripéties désagréables, parfois loufoques, François-Marie et Maureen trouveront, chacun de son côté, une liberté fortuite.

Roman actuel qui reflète le malaise des parents et des adolescents d'aujourd'hui. Combien de liens parentaux sont en partie usés par de jeunes adultes ne désirant pas s'éloigner du cocon familial. Peur de la solitude, manque de moyens financiers, l'aspect rébarbatif d'une société déstabilisée n'offre aucun confort sentimental, pas mieux qu'un brin de sécurité, ce que cherche désespérément François-Marie auprès de sa mère et de femmes plus âgées. Enfant mal aimé, adolescent abandonné à lui-même, le jeune homme refuse de grandir et de s'intégrer dans un monde adulte qui, croit-il, ne saurait le comprendre. Ses rêves sont à la hauteur de son désenchantement, visages de cendres, culte de déesses qui elles-mêmes ne pourraient le combler. On pense au film « Boulevard du crépuscule », avec la magistrale comédienne Gloria Swanson. À la fin de leur histoire, s'établira entre la mère et le fils un dialogue de sourds, cependant nécessaire au malentendu qui les a longuement heurtés. Si tout se ligue contre François-Marie, son comportement de voyeur lucide l'incite à mentir et à manipuler les êtres qui traversent sa vie pour mieux les séduire. Agissant de cette manière altérée, essaie-t-il de s'aimer un peu ? Semblable à Maureen, une tache avinée lui colle à l'âme, sauf qu'il est plus facile, quoi que nous en pensons, de cacher les laideurs visibles...

Livre agréable à savourer dans un lieu vacancier. L'humour grinçant et une réelle tendresse sauvegardent la relation mère-fils où l'amour en plus et en moins ne parvient pas à définir un juste équilibre. Le sentiment le plus complexe se tramant entre un homme et une femme devient ici une question de survie et de mort dont Liliane, trop tard, en paiera le prix.


Le culte des déesses, Claude Daigneault
Éditions de la Noraye, Lanoraie, 2009, 288 pages

lundi 15 juin 2009

Bêtes de nuit et oiseaux blessés ***


L'été étant à nos portes, on a décidé de faire une place bien méritée à quelques livres estivaux. Au-delà de quatre cents pages, ils racontent des histoires d'aventures et d'amour. Des histoires qui font peur ou rêver, écrites pour dépayser et divertir. On a commencé notre randonnée avec le roman policier d'Andrée A. Michaud, Lazy Bird.

Bob Richard, quarante ans, albinos célibataire, animateur de nuit à la station de radio locale WZCZ, à Solitary Mountain, Vermont. Depuis le suicide de ses parents, vingt ans plus tôt, il habite n'importe où, vit n'importe comment, sans attaches et sans racines. Il privilégie la nuit au jour, les animaux aux hommes, évitant ainsi les sarcasmes de ses semblables. Pourtant, la solitude qu'il souhaite trouver dans la petite ville ne durera pas. Une auditrice obsessionnelle lui téléphone presque chaque nuit, le menaçant de tuer son chien, l'obligeant à jouer sur les ondes des pièces musicales signifiantes. L'animateur apprendra par sa collègue Polly Jackson qu'à la suite de pareils avertissements, son prédécesseur, Cliff Ryan, a mystérieusement disparu. Bob Richard tentera alors de dépister son harceleuse, qu'il surnomme Misty, en référence à Errol Garner ; elle l'emportera dans des péripéties qui se dénoueront tragiquement. Sous le signe du film réalisé par Clint Eastwood, Play Misty for Me, se dessineront des indices accusateurs, occasionnant des rencontres avec des gens pas mieux lotis que lui. Étranger en ce lieu replié sur lui-même, considéré comme un handicapé, il deviendra le premier suspect. Les désastres ne se sont-ils pas accumulés depuis son arrivée ?

Si les nuits blanches se déroulent sur des airs de jazz, s'alimentent d'images de films, si chaque chapitre débute par une citation de Jim Morrison, Bob Richard se présente comme un hypersensible enchaîné à un douloureux passé ineffaçable. Intervient une ado paumée, pour qui il éprouve une tendresse ambiguë. Il l'appelle Lazy Bird, inspiré d'une pièce de John Coltrane. Au Dinah's Diner « seul restaurant de la place ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre [...] », il rencontre un dénommé Charlie Parker avec qui il se liera d'amitié. Celui-ci porte des « bottes de cow-boy et ses cheveux gris [sont] tressés derrière la tête. » Retiré dans une cabane près d'une rivière, à l'abri de l'agitation citadine, il n'est préoccupé que par l'essentiel. Fait plus inusité encore, Bob Richard attirera un vieux chevreuil albinos, disparu de la forêt depuis longtemps. L'animal se laissera vaguement apprivoisé, se pointant à la veille de chaque nouvelle catastrophe... Un patchwork de personnages percutants et attachants compose ce polar psychologique qu'Andrée A. Michaud dépeint avec le talent qui la caractérise.

Pourtant, entre les bêtes de nuit et de jour, humaines et animales, entre les oiseaux qui volent trop proches du malheur, l'intrigue traîne en longueur. Bob Richard élabore sur la sauvegarde de la nature, sur les particularités excentriques des humains, mettant lentement en place les pièces manquantes du puzzle géré par l'inconnue détraquée, qui s'impose de plus en plus dangereusement. Clins d'œil au cinéma, gros plans sur les sentiments exacerbés d'un homme constamment déchiré par de nombreux états d'âme et de conscience, ralentissant ainsi le rythme fatal d'un premier assassinat qui survient seulement au milieu du roman. À partir de ce meurtre, l'auteure met en branle des événements imparables, attendus du lecteur, soit le meurtre de trois femmes. Comme si une espèce de somnolence nocturne avait figé les protagonistes dans les brumes incertaines d'une expectative maniaque et décisive. Le mouvement infernal s'installe enfin, c'est la descente aux enfers de Bob Richard mais aussi l'affolement d'un être qui finit par se noyer dans le sang des autres et le sien.

Roman parfaitement approprié durant le temps d'un été. Les odeurs de la terre se mêlent à celles des corps revenus à leur primitive expression cadavérique. Seule demeure l'importance de la musique et des images que d'une manière fort habile, l'auteure a intégrées au scénario. Lancinantes, elles submergent l'histoire d'un homme mortellement blessé par la perte brutale de ses parents, marginalisé par sa différence, toutefois compatissant aux misères des autres.

Les qualités littéraires du livre ne font pas défaut. À son habitude, Andrée A. Michaud a su décanter la situation pathétique d'individus face à leur propre tragédie. Le drame traversé par l'albinos Bob Richard, à peine conclu, terni du visage flou d'un homme duquel nous ne savons rien, ne signifie-t-il pas qu'en permanence une ombre innommable nous poursuit, menace de son arme blanche les êtres que nous pensions les plus innocents, les mieux aptes à nous aimer ?


Lazy Bird, Andrée A. Michaud
Québec Amérique, Montréal, 2009, 420 pages